Cela faisait une semaine que Jersey était rentrée d’Italie, la peau un peu bronzée. Il est vrai qu’elle passait souvent ses journées à la plage, les orteils enfoncés dans le sable chaud. A Barrow, cela n’aurait pas le même effet si elle plongeait ses pieds dans la neige. Jersey s’était prise un appartement sur Kongosak Street, très petit et très simple mais tout à fait approprié pour sa situation. Elle s’était trouvé récemment un petit travail avec des horaires tout à fait respectable à la librairie en tant que vendeuse. Passionnée depuis sa tendre enfance par les livres, elle n’aurait pas pu rêver mieux car un part de son travail consiste également à renseigner les potentiels acheteurs sur les bestsellers actuels mais également sur le contenu de chacun des livres. Impossible d’avoir lu autant de livres que ceux qui sont disponibles sur les étagères mais pour la plupart d’entre eux, Jersey les connaissait. Revenir à Barrow lui remémorait beaucoup de souvenir. Voilà cinq ans qu’elle était partie et depuis le décès de sa mère, rien n’était simple. Son père est tombé dans l’ivresse et elle subissait ses coups chaque soir. Depuis quelques mois, souvent elle déposait sa main sur son ventre qui aurait normalement dû gonfler si elle n’avait pas eu la perte de son bébé. Regrettait-elle ? La jeune brune ne regrettait pas d’avoir voulu le garder mais plutôt d’être rester auprès un homme saoul à toutes heures alors qu’elle possédait la vie en elle. Elle s’est trouvé irresponsable et avec le temps qui est passé, elle s’est dit qu’elle aurait du partir pour la protection de son bébé. Mais à seize ans, malgré qu’elle ait grandi trop vite, elle gardait en elle cette innocence et cette peur accrue de l’inconnu.

Ses mains déposaient contre l’écorce du chêne revêtu d’un manteau blanc, Jersey s’était penchée discrètement pour observer derrière. Il s’y trouvait sa petite ferme où elle avait grandi. De là où elle était disposée, elle pouvait tout de même voir sur l’un des murs du pairon l’espèce de règle que son père lui avait dressé lorsqu’elle avait cinq ans. Tous les ans, ses parents la mesuraient et il restait encore les traces. Par la fenêtre du salon qui donnait sur la table en bois, elle pouvait y voir cette nouvelle famille qui diner tranquillement. Tous riaient comme une vraie famille, ce qu’avait perdu Jersey depuis longtemps. C’est seulement au bout d’une heure à les observer et à admirer le lieu qui l’avait vu dans tous ces états que Jersey reprit sa marche. Nouant un peu plus son écharpe autour de son cou, elle engouffrait ses mains frêles et glacés dans les poches de son manteau beige. L’air ici n’avait rien avoir avec celui de l’Italie. Sans qu’elle s’en rende compte, ses pas l’ont mené jusqu’à la maison de Kristopher. L’homme qu’elle n’a jamais pu oublier. Celui qui a été, est et qui restera son plus grand amour. Dans ses bras, elle a vécu toutes les merveilles du monde, les joies comme les pleures et le regret. S’arrêtant sur le trottoir de la rue d’en face, elle observait les lumières. Il était chez lui. Elle hésitait alors à traverser la rue pour venir frapper à sa porte. Pendant une minute, elle songeait à faire marche arrière et rentrer chez elle pour se blottir dans son lit accompagnée du dvd du Titanic et d’un énorme pot de Nutella. Mais après tout, c’était pour lui qu’elle est revenue…

Jersey frappait timidement contre la porte puis rangeait de nouveau sa main dans la poche de son manteau. Son coeur battait incroyablement fort et vite. Cette fameuse scène, elle l’avait imaginé sous plusieurs angles et elle s’était préparée tout un discours. Pourtant, lorsqu’elle le vit se tenir en face de lui, aucun mot n’a réussi à sortir. Comme avait-elle pu oublier à quel point il était aussi beau ? Il n’avait pas changé. Les lèvres entrouvertes, elle a tenté de sortir un son mais rien n’est venu. C’est alors que Kristopher l’a laissé entrer. La jeune femme baissait la tête en pénétrant à l’intérieur, gênée. Elle a observé un long moment les murs et les décorations alors qu’il refermait la porte. C’est en se tournant vers lui après avoir pris une grande respiration qu’elle a remarqué les larmes qui perlaient ses yeux ce qui influençait les siens puisque Jersey aussi s’est mise à avoir les yeux humides. « Hey.. » Murmurait-elle tout bas en venant déposer ses mains sur les joues de son amant perdu. Elle le regardait droit dans les yeux sans ajouter un mot. Un fin sourire qui se voulait doux et rassurant vint trôner sur ses lèvres. Ses pouces passaient sous ses yeux pour effacer ses larmes. Sa peau était douce, elle l’avait oublié ça. Jersey le regardait et le touchait comme si c’était la première fois.

Jersey se retrouvait alors dans les bras de cet homme qui hantait ses pensées. En cinq ans, malgré son malheur, la jeune brune n’a jamais cessé de réserver son coeur pour lui. Elle enfonçait sa tête dans le cou de Kristopher, humant son parfum. Jersey se remémorait les scènes où son odeur était encore imprégnée dans son coussin et ses draps. Elle s’y allongeait parfois et enrouler sous coussin de ses bras pour se l’imaginer avec elle à cet instant. Lorsqu’elle partit de force en Italie, elle n’a jamais pu le refaire puisque des nouveaux draps bordés son lit. Ca lui avait manqué et c’était encore mieux d’avoir ses bras autour de son corps. Jersey fermait les yeux suite à sa main si douce qui se glissait dans ses cheveux puis sa joue, retirant cette larme de son pouce. Cette caresse lui fit d’énormes frissons qui lui parcouraient la colonne vertébrale remontant sur sa nuque. Les mains de la jeune femme remontèrent lentement jusqu’à la nuque de son amant, la caressant du bout de ses doigts. Son regard plongé dans le sien, elle aurait voulu que ce moment dure pendant des heures. De longues heures où elle pouvait enfin regarder ses yeux sans l’appréhension d’une intrusion inattendue.

« Jezzy, ma douce Jezzy, mon Dieu... Je... Je suis si heureux de te revoir, j'avais espéré tant de fois que tu viennes à ma porte, mais ce n'était jamais toi... Oh mon Dieu, je n'arrive pas à croire que c'est toi, que tu es là... C'est tellement... Cela fait tellement longtemps... Je n'ai jamais... » Lui disait-il tel un murmure. Jersey ne l’avait pas quitté des yeux, abreuvant ses paroles comme une eau miraculeuse. Il ne terminait pas sa phrase. Pourquoi ? La suite allait-elle déplaire à la jeune femme ? C’est ce que pensait au début Jersey, ne cherchant pas à insister. A vrai dire, si elle était là, c’était pour lui annoncer une nouvelle. Une nouvelle qui n’est plus d’actualité certes, mais Jersey avait besoin de lui dire. Elle avait besoin de lui dire qu’elle allait attendre son enfant avant de faire une fausse couche à cause de son père. En repensant à cela, la brune baissait la tête avec son regard rivé sur le sol. Cinq ans… Son bébé aurait déjà du venir au monde. Et ça aurait été pour le présenter à son père qu’elle aurait du venir et non pour annoncer qu’il ne verra jamais le jour.

« Je dois te dire quelque chose… » Murmurait-elle avant de marquer une pause. Quelle est la façon la plus simple de lui annoncer cela ? Surtout, Jersey appréhendait énormément sa réaction. Peut être qu’il lui dirait que c’était mieux qu’il ne vienne jamais au monde. Il est vrai que cette réponse, elle en avait peur. « J’ai été enceinte de toi. » A-t-elle ajouté directement, sans plus attendre, son regard toujours fixé sur le sol. Un long silence s’installait alors. Alors Jersey poursuivit son explication. « Mon père m’a forcé à partir en Italie et là bas, j’ai appris que j’étais enceinte. Mais quand mon père a vu le test de grossesse dans la poubelle… Tu connais la suite. ». Elle se remémorait la scène des escaliers où son père l’avait violemment bousculé, lui faisant alors perdre son bébé. Les larmes lui ont monté aux yeux alors qu’elle n’osait regarder son amant.